vendredi 2 mars 2012

Rûzbehân ou Rûzbehân al-Baqlî al-Shîrâzî


Abû Mohammad Rûzbehân-i Baklî (روزبهان بلقى شيرازى ) est un mystique soufi chiite, un poète et philosophe perse né en 1128 à Pasâ (sud de Shîrâz) dans la lignée daylamite. Son nom signifie "jour heureux".
Dès l'âge de sept ans il pratiqua des exercices spirituels. Il reçut une révélation spirituelle à quinze ans, à Shîrâz. Puis les extases et les ravissements divins se succèdent, par l'intermédiaire d'un maître caché (Khidr). A vingt deux ans il trouve son cheikh, ibn Khalîfa ibn 'Abd al-Salâm, se rattachant à l'ordre des Siddîqiyya (ou Murshidiyya). Il eut aussi ibn Khalîl al-Fasâ'î pour maître.
Il entreprend ensuite une série de voyage à Kerman, puis en Iraq, en Syrie, en Égypte, au Hijaz et à La Mecque. Il revient s'installer en 1165 à Shîrâz, où il construit un prieuré (khângâh) et fonde une confrérie soufie (tariqa), s'inscrivant dans la lignée de Hâllaj. Il fut amateur du samâ', le concert spirituel des soufis. Sa mystique est basée sur l'amour et l'enthousiasme et sa pratique sur le jeûne, la retraite et le dhikr. En vrai prophète, il dialogue avec les saints, les anges, les autres prophètes et Dieu.
Il eut plusieurs épouses, deux fils (Shihâb al-Dîn Muhammad et Fakhr al-dîn Ahmad) et une fille. Devenu hémiplégique tard dans sa vie, il refusa tout soin, acceptant son sort, impatient de retrouver son Créateur. La veille de sa mort, il l'annonça pour le lendemain et il prédit à deux autres cheikhs qu'ils le suivraient de près (ce qui arriva). Il mourut en 1209 à Shîrâz. Devenue un lieu de pèlerinage, sa tombe fut réputée car on y entendait sa voix, jusqu'à ce qu'avec le temps, tout sombra dans l'oubli.
Source (et suite) du texte : wikipedia


Bibliographie (en français) :
- Le jasmin des fidèles d'amour, Verdier, Lagrasse, 1991.
- Le dévoilement des secrets et les apparitions de lumières, Seuil, Paris, 1998.
- Le livre de l'ennuagement et Les Eclosions de lumière, Le Seuil, 1998.
- Le Traité de l'Esprit saint, Le Cerf, 2001.
- L'itinéraire des esprits et Traité de la sainteté, Deux Océans, 2001.
 - Quatre Traités Inédits de Ruzbehan Baqli Shirazi, Institut français de recherche en Iran, 1998.


1. Grâce soit rendue à Dieu, Lui dont l'existence ne saurait donner lieu à aucun doute, ni à aucune conjecture, Lui dont ni l'essence ni les attributs ne sont sujets aux changements qui affectent les phénomènes et les âges. Son antériorité n'a nul commencement dont on puisse faire le compte, Sa surexistence ne peut être comprise dans une signification définie. Son éternité sans commencement est pure de l'établissement de la division des temps, Son éternité sans fin est pure, et de la division des moments et des instants. C'est pas Son essence et Ses attributs qu'Il Se fait connaitre aux témoins de la contemplation. Car, Lui, grâce à Ses attributs et à Son essence, n'a pas besoin des preuves, ni d'exemples visibles pour Se faire connaitre. Et les substances et les accidents disparaissent sur les esplanades de l'unité divine, de même que les esprits et les intelligences sont annihilés sur les aires de la gloire du pouvoir divin. Il S'est isolé en Son essence à l'écart des allusions subtiles propres aux facultés de conjecture, et Ses attributs se sont sanctifiés, échappant à la représentation des intelligences et des compréhensions. (...)

7. Comprends - que Dieu étende sa bénédiction sur ta compréhension - que je naquis chez des ignorants faisant partie de cet ensemble de gens en proie à l'ivresse et à l'égarement, qui n'ont pour toute éducation que celle des habitués du marché, grossiers et vulgaires, de sorte qu'ils sont "pareils à des ânes effarouchés qui fuient devant un lion". (Je vécus comme eux) jusqu'à ce que j'atteigne l'âge de trois ans, lorsque résonna dans mon coeur cette question . "Où est ton dieu, le dieu des créatures ?" Or nous avions une mosquée à la portée de notre maison, et j'y remarquai un jour de jeunes garçons à qui je demandais : "Connaissez-vous votre dieu ?" Ils répondirent : "On dit qu'Il n'a ni main ni jambe." Ils avaient en effet entendu leurs pères et mères dire que Dieu le Très-Haut est affranchi des membres et des organes du corps. Lorsque je posai cette question, je fus submergé par l'émotion et je partis en courant. Alors s'écoula en moi quelque chose qui ressemble aux lumières (que l'on perçoit) dans la récitation du nom de Dieu et aux expériences intérieurs que provoque la méditation. Mais je ne compris pas vraiment le sens de ce qui m'arrivait.

8. Je parviens à l'âge de sept ans lorsque mon coeur fut envahi par l'amour de l'invoquer et de me soumettre a Lui par la dévotion. je me mis en quête de ma conscience secrète et j'appris ce qu'elle était. L'amour apparut dans mon coeur si bien que mon coeur fondit dans l'amour. J'éprouvais en ce temps une profonde nostalgie car mon coeur à ce moment-là était immergé dans l'océan de l'invocation de la prééternité et respirait les parfums de la sainteté. Puis des éclosions d'extases apparurent en moi sans provoquer la moindre commotion. Toutefois mon coeur était saisi d'une certaine langueur, et mes yeux s'emplissaient de larmes. je n'arrivais pas à comprendre ce que cela pouvait être sinon qu'il ne pouvait s'agir que de l'invocation de Dieu le Très-Haut. A cette même époque je regardais tous les êtres somme autant de beaux visages dont l'apparition m'inspirait l'amour de quelques retraites spirituelles, entretiens spirituels, pratiques de dévotion et pèlerinages aux tombes des plus grands maîtres spirituels.

9. Lorsque j'eus atteint l'âge de quinze ans, il me sembla entendre un appel venant du monde caché qui me disait : "Tu es certes un prophète". Et je me disais dans non for intérieur : "J'ai pourtant entendu mes père et mère dire qu'il ne peut y avoir aucun prophète après l'Elu (al-Mustafa). De plus comment pourrais-je être prophète alors que je mange, que je vois, que je vais aux lieux d'aisance, et que je suis pourvu de parties honteuses ?". Car je pensais que les prophètes n'avaient pas ses défauts. Et ceci jusqu’à ce qu'un certain temps fut passé, tandis que j'étais évanoui dans l'amour. (...)

45. J'ai vu au cours de certains des dévoilements un lion jaune immense et remarquable de majesté, revêtu de la puissance de la magnificence. Il marchait sur le sommet de la montagne Qaf. Il dévora tous les prophètes, les envoyées et les saints. Il restait encore dans sa gueule un peu de leur chair, et du sang en coulait. Il me vint à l'esprit que si j'avais été là moi-même il m'aurait dévoré comme il les avait dévorés. Or voici que je me trouvai dans sa gueule et qu'il me mangea. Ceci est une allusion à la fureur de l'unification et au pouvoir qu'elle exerce sur les unifiés. Car c'est Dieu qui Se révèle depuis les déterminations de la superbe de la prééternité sous la forme du lion, et le sens des vérités qui y ont trait est que le gnostique est une nourriture dont se nourrit la fureur de l'ignorance dans l'étape mystique de soi.

48. Je Le vis sur les routes du monde caché qui tenait quelque chose dans Sa main. Je demandai : "Mon Dieu, qu'est-ce que ceci ?" Il répondit : "Ton coeur." Je dis : "Mon coeur possède donc une demeure qui est ta main ?" Il plia mon coeur qui se trouva être comme une chose enroulée. Puis Il l'étendit et mon coeur recouvrit l'espace qui s'étend du trône jusqu'à la terre. Je demandai : "Est-ce là mon coeur ?" Il répondit . "Ceci est ton coeur, et il est plus vaste que l'ensemble de l'être créé." Puis Il l'emporta dans l'état où il se trouvai dans Sa main vers les contrée du monde angélique. Je 'accompagnais jusqu'à ce que j'atteigne le conseil du mystère du monde caché. Je demandai : "Mon Dieu, jusqu'où l’emmèneras-Tu ?". Il répondit : "Jusqu'au monde de la prééternité pour que Je me contemple en lui, pour susciter en lui les commencements des vérités, et pour que Je Me révèle à lui pour l'éternité sans fin sous l'aspect de la divinité." Je dis : "Je veux Te voir sous l'aspect qui est le tien dans l'éternité sans commencement." Il répondit : "Il n'y a pour toi aucun chemin qui pourrait t'y conduire." Je suppliai en disant : "Mais je le veux !" Apparurent alors les lumières de la magnificence. Je fus réduit à néant, annihilé. Les réalités phénoménales ne purent plus fraire face à l'orage de la superbe après cela. (...)
Extrait de : Le dévoilement des secrets.
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* * *
276. Sache, o mon frère ! - Dieu puisse-t-il te donner en viatique et te faire honneur de l'amour des Parfaits - que le Soi éternel du Seigneur est de toute éternité et pour toute éternité qualifié par ses Attributs éternels. Dans l'ensemble de ces Attributs divins, l'un est l'amour : il est soi-même l'amant de soi-même, c'est pourquoi il est soi-même l'amour, l'amant et l'aimé. D'où il résulte que l'amour monochrome est son Attribut, et qu'il est exempt de l'altération qui affecte tout ce qui est créaturel. L'eros est la perfection de l'amour, et l'amour est l'Attribut de Dieu. Ne t'égare pas sur le nom : eros ('ishq) et amour (mahabbat) sont une seule et même chose. C'est son attribut, et l'attribut subsiste pas son essence. Aucun changement ne s'y produit, non, il est amant en soi-même et par soi-même. Il n'est susceptible d'aucun des changements qui affectent ce qui est créaturel. L'amour de l'Etre divin, sache-le, est tel qu'est sa connaissance. Il ne cesse d'être soi-même l'amant de soi-même, de même qu'il ne cesse d'être se connaissance soi-même et se contemplant par soi-même.

277. Sa monadicité est indivisible. Lorsqu'il voulut ouvrir aux esprits des gnostiques avec la clef de ses Attributs le trésor de son Essence, la théophanie par laquelle il se manifesta à eux eut comme forme la beauté de l'amour, et il se manifesta à eux par les Attributs appropriés à chacun. (...)

281. (...)
Tel est le cas que rapporte Zu'-l Nun Misri : "Un jour, dit-il, je cheminais dans le désert. Voici que j'aperçus un adolescent qui était sur le point de rendre son âme à Dieu. Reconnaissant sur son visage la trace de l'expérience mystique, je lui dis : O mon frère ! prononce Non Deux nisi Deus (lâ ilâha illâ'llâh - Il n'y a de Dieu que Dieu). Mais lui de me répondre : N'as-tu pas honte d'insérer quelque chose entre l'amant et l'aimé ? Voici que je suis le non (man lâ-yam, ego sum non) et à ce nisi Lui seul surexiste, Lui seul exalté. Alors il prononça : Lui ! - et son âme, faucon royal, prit son envol, exultante d'amour."

282. (...)
Dans le monde de l'amour, on n'arrive pas à décrire, parce que l'intelligence et l'âme ne vont pas ensemble sur le chemin de l'amour. L'amour met en liquéfaction l'oiseau-âme. L'amour et l'âme sont l'un pour l'autre dans le même rapport que le faucon et la colombe.
"L'amour n'agréé par une âme qu'il laisserait vivre.
Ce n'est pas d'une souris morte que le faucon fait son gibier." (...)

284. Tout ce que nous venons de dire ne fait que décrire le mode d'être de l'amour et du Fidèle d'amour. La limite de l'amour est le début de la gnose mystique (ma'rifat). Dans la gnose mystique, l'amour est au point culminant de la perfection. Si l'amant devient homochrome avec l'Aimé, c'est qu'il a atteint la station mystique du tawhid. S'il est frappé de stupeur dans la gnose mystique, c'est qu'il a atteint la station de cette gnose mystique, La limite extrême de l'amour va jusqu'à ces deux stations. Lorsqu'il est devenu parfait gnostique, voici que les Attributs divins se montrent à lui par les attributs de sa propre gnose mystique. Mémoration de l'Essence, méditation des Attributs, c'est encore pudique réserve sur les pas de la Sagesse éternelle. Mais la coalescence du regard (ou de la personne) de l'amant et du regard (ou de la personne) de l'Aimé, est impliquée dans le regard de coalescence qui est l'essence de l'amour. Aussi, lorsque l'amour fait éclosion dans un être, il l'attire jusqu'à cette coalescence. Par quatre phases : par l'anéantissement de son agir et de ses qualifications propres, - par l'anéantissement de cet anéantissement, - par la surexistence de l'un et de l'autre, - par la surexistence de cette surexistence, - voici que l'amant devient l'Aimé. Dans le royaume de la condition seigneuriale, il dispose du mode d'être de la divinité, il expérimente la suprême félicité. Que son amour, faucon royal, l'emporte alors à la vision du tawhid, l'amant mystique éprouve la joie de l'Unifique réalisant l'atteinte, il contemple l'oeil qui le contemple, comme s'il était lui-même cet oeil. Le tawhid l'isole de la perturbation du créaturel. Sur la monture de l'individuation (transcendante) il passe au monde du tajrid (dématérialisation). Sa vision n'est plus que vision de la magnificence et de la sublimité comme perpétuité et surexistence des réalités prééternelles et durables à jamais.

285. L'amour ne s'attarde pas dans ces étapes. Le mystère du tawhid, par les chocs extatiques, dérobe au coeur la délectation du l'amour. La beauté du monde cesse d'être, si elle est, elle n’apparaît pas. (Ce mystère) c'est magnificence (sur) magnificence, sublimation (sur) sublimation, angoisse d'être exposé à la sublimité, exultation dans l'enchantement de l'extase, c'est gnose sur gnose, vénération sur vénération sacrée, crainte sur crainte révérentielle, devant la vision des sublimes lumières, c'est ivresse sur ivresse mentale devant la soudaine irruption de la théophanie, c'est détresse sur détresse, sur l'océan de la prééternité, c'est stupeur sur stupeur devant la surexistence, c'est être anéanti sous l'effet de l'assaut des lumières de l'Essence, c'est être surexistencié par l'influx de la beauté de l'âme du microcosme. A cette étape il n'y a pour le créaturel, ni trouble occasionné par l'âme sensuelle, c'est de l'allégresse divine que fait éclosion l'allégresse dans (l'âme de) l'Unifique.

286. Comme dans l'abîme de l'océan incréé, la coalescence reste elle-même improfanée par les qualifications créaturelles, le mystique rencontre le lieu de l'"Identité (ittihad)". Alors il profère des sentences paradoxales. De là viennent les propos fameux : "Gloire à moi !", "sous les plus de mon manteau il n'y a personne d'autre que Dieu", et le secret du "Je suis Dieu". (...)

287. (...)
Pour terminer disons ceci : C'est dans la Niche des signes visibles qu'est placée la lampe des Atributs divins. Les Fidèles d'amour y trouveront dans ce chapitre maintes allusions. Dans ce distique de l'admirable amant mystique, cette créature royale d'ardent désir que fut Hosayn ibn Mansur al-Hallâj, il y a semblable outrance, prégnante d'indications allusives, proférée en l'ivresse du tawhid sous l'effet d'un regard discernant l'Unité, lorsque son sang se répandait et qu'il récitait :
"Gloire à Celui qui manifesta son humanité
Comme mystère de gloire de sa divinité radieuse,
Et qui ensuite se montra à découvert dans sa créature
Sous la forme de quelqu'un qui mange et qui boit".
Extrait de : Le Jasmin des Fidèles d'Amour
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